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My Absolute darling, le grand malaise

J’ai lu My Absolute darling il y a plus de six mois et les personnages continuent à m’habiter. Pour ceux et celles qui ont raté ce premier roman de l’Américain Gabriel Tallent, paru en 2017, et traduit par Laura Derajinski pour les éditions Gallmeister en 2018, je fais une parenthèse pour vous indiquer que ce livre a connu un immense succès critique. Stephen King a dit : « Le terme de « chef-d’œuvre » est bien trop galvaudé, mais il ne fait aucun doute que My Absolute Darling en est un » et François Busnel a déclaré : « Le roman le plus puissant que j’ai lu depuis des années ». Bref, si vous avez raté My Absolute darling, c’est que vous dormiez au gaz.

Face aux critiques dithyrambiques, pas facile de lancer un timide : « Oui, mais…. » Mais comme je tourne cela dans ma tête depuis des mois, j’ai envie de vous demander si, vous aussi, vous avez ressenti un gros malaise à la lecture. Les convaincus me diront que le malaise est évident au vu de la violence de l’histoire. Turtle, une jeune fille de 14 ans, vit sur la côte nord de la Californie et passe ses journées à arpenter les bois et les plages, dans une nature aussi familière et menaçante que l’est son père avec elle. Socialement désaxée, elle subit les viols de son père, un être charismatique adepte du survivalisme et des armes à feu, qu’elle déteste et qu’elle aime profondément, dans une ambivalence qui nous retourne les tripes. Bref, on a follement envie que Turtle s’extirpe de ce marécage. Elle en prend le chemin grâce à sa rencontre avec Jacob, et son ami Brett, deux lycéens.

Le talent d’écrivain de Gabriel Tallent est indéniable. Il sait ménager le rythme, la tension, lâcher du leste, puis à nouveau nous couper le souffle. La description des scènes de violences physiques et sexuelles est crue, précise, détaillée, à en vomir. Le vocabulaire pour décrire la nature et les armes à feu est très documenté et fouillé. L’atmosphère est souvent insoutenable. Mais est-ce que ces qualités sont suffisantes pour faire un bon roman (un grand roman, selon les critiques littéraires) ? Est-ce suffisant pour justifier l’inceste, le viol, la violence et se donner le droit de rendre le lecteur témoin et voyeur, tout en essayant de nuancer un père qui – paraît-il aime sa fille et peut être tendre avec elle -, alors que ce père est un monstre (point barre) ? Le voilà, le gros malaise… Le malaise ne vient pas de l’histoire elle-même, mais bien de la façon dont l’auteur, Gabriel Tallent, l’utilise pour manipuler son lecteur.

J’ai quand même réussi à trouver quelques critiques négatives des lecteurs (des lecteurs et non des critiques littéraires de grands journaux ou magazines, malheureusement) : les reproches tournent principalement autour des scènes de violence insupportables, des descriptions de la nature et des armes à feu longues et fastidieuses, mais j’aimerais aussi savoir si, vous aussi, vous vous êtes senti arnaqué par l’auteur…

Au fur et à mesure de la lecture, j’ai commencé à éprouver des doutes sur les intentions de l’écrivain. J’ai eu la sensation que l’auteur, en infligeant de tels sévices à Turtle, me rendait complice de cette violence car il me forçait à la regarder dans les moindres détails. Ce roman a été présenté comme un roman d’apprentissage où une jeune fille s’émancipe de l’emprise nauséabonde de son père. Au final, l’émancipation se solde par la justice par soi-même. Et je suis bien mal à l’aise avec cette idée et j’ai eu l’impression que Gabriel Tallent la cautionnait puisque la jeune fille se libère – et quelque part s’accomplit – dans une lutte à l’arme à feu.

Bref, My Absolute darling me laisse une impression très dérangeante sur la finalité sous-jacente de l’œuvre qui, me semble-t-il, au final ne réussit qu’à faire l’apologie des règlements de compte sanglants, sans intervention de la justice ou du moins d’une autorité (un adulte au moins) engagée dans la protection de la jeunesse, et entraîne le lecteur dans des scènes abjectes dans le but de cautionner son propos. Non merci… Gabriel Tallent, tu ne m’auras pas !

2 réflexions au sujet de “My Absolute darling, le grand malaise”

  1. Oh wow, ce livre à l’air intense! Comme le deux autres (Chienne et Née d’aucune femme).
    Je comprends tellement ta réflexion sur la nécessité de la violence et se sentir otage. La ligne est mince parfois entre les descriptions utiles et le voyeurisme…
    J’aime tes critiques littéraires. Continue!
    Par contre, j’ai peur pour ton moral! Un petit snoopy entre deux livres pour alléger tout ça? 😉

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    1. Moi aussi, je me suis demandée pourquoi je faisais tant de lectures sordides ces temps-ci ! Même en relisant Maupassant l’autre jour, il y avait une scène de violence autour de la nuit de noces de Jeanne dans Une Vie ! Pauvre de nous !
      Comme dirait le chat de Philippe Geluck : Allez Roger, un muscadet !

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