

Un roman fascinant sur les grands feux de Matheson qui ont ravagé, durant l’été 1916, le nord de l’Ontario (au Canada), faisant plus de 200 victimes. Évidemment avec la tragédie actuelle qui frappe l’Australie, la lecture du roman a pris une teneur dramatique bien réelle, et mes pensées ont souvent glissé vers les victimes australiennes. Les descriptions du brasier et du chaos que nous livrent l’auteure québécoise Jocelyne Saucier semblent sortir tout droit de la bouche des témoins australiens qui partagent sur les médias leur tragédie.
Il était passé midi et le vent s’était levé, un vent d’une puissance incroyable qui a rassemblé les feux d’abattis en une torche immense. Le ciel est devenu noir charbon, on entendait un grondement au loin, comme une locomotive lancée à toute vapeur, et Dieu qu’on savait ce que c’était! On a crié, on a cherché à retenir l’attention de Boychuck, ils voulaient qu’il vienne s’abriter avec eux, deux jeunes hommes réfugiés dans une excavation, mais peine perdue, l’incendie couvrait leurs voix, le garçon n’entendait rien, et déjà on ne le voyait plus au bout du champ. Il faisait nuit noire, la fumée avait complètement masqué le soleil.
Avec Il pleuvait des oiseaux, Jocelyne Saucier nous fait naviguer entre le passé – les grands feux de Matheson – et le présent – une photographe enquête sur les survivants des feux, désormais devenus des vieillards. Elle recueille leurs histoires, elle les photographie. Un jour, elle débarque au fond des bois dans les cabanes de trois vieux hommes qui vivent, par choix, cachés du monde. L’un des trois, Boychuck, est la clé de l’histoire. Malheureusement, la photographe arrive trop tard, Boychuck vient de mourir. Sur ces entre faits, surgit une dame âgée, Marie Desneige, qui a passé presque toute sa vie dans un asile de fous, soupçonnée de schizophrénie. Les vieillards rajustent leur vie avec l’arrivée de ces deux dames parachutées dans leur petit paradis où ils pêchent, ils chassent, ils bricolent… et ils font pousser du cannabis !
Tous les personnages sont hauts en couleur et surtout, ils sont tous empreints de liberté. Peu à peu, on remonte le temps pour découvrir l’histoire de Boychuck, rescapé des grands feux et figure emblématique et énigmatique d’un passé anéanti par les flammes. L’amour est l’un des fils conducteurs entre le passé et aujourd’hui. Marie Desneige et Charlie, l’un des vieux monsieurs, prouvent que les sentiments amoureux et les caresses charnelles n’ont pas d’âge. Et c’est beau. On découvre aussi une bibliothécaire âgée qui depuis toujours consigne dans des carnets les histoires d’amour des personnes pour lesquelles elle éprouve une fascination. Elle les épie, étudie leurs gestes, analyse le moindre tressaillement de leurs épaules. Puis l’enquête pour comprendre Boychuck, et sa légende, nous mène dans sa cabane où ses amis découvrent avec stupéfaction des centaines de peinture réalisées au fil du temps. Elles parlent toutes des grands feux, elles sont peintes de beauté et de désespoir, elles retracent les cris, les douleurs, la mort.
Alors Jocelyne Saucier nous parle d’amour et d’art. Marie Desneige lit les tableaux avec clairvoyance, elle y voit tout, elle y entend tout. Elle ressent l’âme de Boychuck. Et jusqu’à la fin du roman, c’est l’air, le feu, la terre et l’eau qui coulent dans les veines des personnages qui ne renonceront jamais à leur liberté de vivre loin, de vivre différemment, de vivre ensemble. À la vie, à la mort que personne ne redoute.
Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier, XYZ, 2011. Édité à Paris chez Denoël en 2013 et chez Gallimard en 2015.
Une adaptation cinématographique, réalisée par Louise Archambault, est sortie au Canada en septembre 2019.