

Je n’ai jamais compris cette expression de “chez soi”, se sentir bien “chez soi”. En France, je suis étrangère ; mais je suis étrangère où que j’aille et je n’ai trouvé, hélas, aucun lieu ni même aucun être auprès desquels je puisse entrevoir une forme de repos.
Cette présentation en quatrième de couverture du roman de Marie-Éve Lacasse m’a touchée en plein cœur. Sauf que dans mon cas, il faudrait que je remplace France par Canada, mais qu’importe. Dans cette auto-fiction, l’auteure exprime son rapport au monde, ses relations avec les autres qui ne sont pas elle, même les plus proches, même ceux que l’on aime de tout son cœur, comme sa fille ou son amoureuse. C’est très étrange les autres, parce que justement ils sont des étrangers. Étranger à notre vie, même s’ils nous l’ont donnée, étranger à notre vie, même si on leur a donnée.
Marie-Éve Lacasse nous livre avec beaucoup d’intimité sa vie, entre son exil vers la France à l’âge de dix-sept ans, sa relation destructrice avec ses parents, la naissance de sa fille, sa vie avec son amoureuse et leur rupture affreusement douloureuse. Tout pour essayer de comprendre pourquoi elle se sent sans cesse dans un « à côté », avec un sentiment d’étrangeté à tout ce qui l’entoure et la sépare des autres.
Autobiographie de l’étranger dresse le portrait d’une jeune femme fâchée avec son histoire, avec son pays, avec les siens. Il y a beaucoup de tristesse, de solitude et de souffrance chez Marie-Éve Lacasse, qui déteste son prénom et son nom. C’est l’histoire d’une fille qui ne s’aime pas, qui se trouve moche, banale, illégitime. On avance à pas feutrés dans le secrets de famille, dans les maux, les vertiges, les évanouissements.
Plus on avance dans le récit, plus on ressent son travail sur le discours, les mots, la dramaturgie. Parce que Marie-Éve Lacasse nous parle aussi de culture, de langue et d’écriture, elle qui a changé de pays, qui a obtenu une second nationalité, qui a travaillé à perdre son accent québécois.
Écrire menace si profondément la tranquillité du corps et de l’esprit que j’ai pris récemment la décision de le faire sans compromis, ni pour la critique, ni pour les lecteurs. Écrire pour le livre, pour servir le livre, car il n’y a aucun autre espace de liberté possible. Le travail et la famille ont tôt fait d’imposer leurs limites. L’amour offre bien quelques échappées lumineuses, mais il s’encadre aussi dans un contexte conjugal de responsabilités. L’écriture, elle, ne répond de rien d’autre que de ce qu’elle doit incarner, c’est-à-dire : une plongée réfléchie dans quelque chose qui m’échappe.
Elle consacre tout à l’écriture, jusqu’à y perdre son amoureuse. Elle ne peut pas faire autrement. L’écriture engloutit tout. Et puis, brusquement, dans les dernières pages, apparaissent quelques douceurs, quelques acceptations. Parce que les autres sont différents de nous, mais qu’ils nous aiment à leur façon.
Autobiographie de l’étranger, de Marie-Éve Lacasse, Flammarion Québec, 2020.