Mes lectures

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse : liberté, liberté chérie

D’abord c’est le titre, Né d’aucune femme, qui a attiré mon attention : né d’aucune femme ? Ça veut dire quoi ça ? Puis c’est la photo de la couverture du livre qui m’a fascinée (et me fascine encore) : noir et blanc, une femme seins nus allaitant son enfant, la photo coupée en deux, et le regard… ce regard… Pour moi, il incarne la puissance, la puissance féminine, celle qui connaît tout de la création. Il y a quelque chose de céleste, de divin dans ce regard. Je ne cesse de la contempler et parfois, elle change. Je trouve cette femme au regard dur, je ferme les yeux, je les rouvre, et je la vois remplie d’amour, je ferme les yeux, je les rouvre, et je la vois combattante, je ferme les yeux, je les rouvre, et je la vois interrogative, je ferme les yeux, je les rouvre et je la vois amazone. Madone libre, malgré les coups, malgré la vie. Femme puissante. Femme courageuse. Femme qui n’accepte pas, qui ne se résigne pas. Rose. L’auteur de la photographie est : Sara Saudkova. Évidemment, cette photo dénote avec le titre… et cela intrigue encore plus.

J’ai donc ouvert le livre avec beaucoup de curiosité. Et j’ai aimé. Beaucoup. Je porterai Rose en moi longtemps. Grâce aux cahiers de Rose, cachée sous la robe d’une femme défunte, on découvre son histoire terrible. Vendue par son père, miséreux, à un maître des forges, Rose, à quatorze ans, connaît le viol, la violence insupportable, l’esclavage, l’enfermement, l’arrachement à son nouveau-né. L’auteur, Franck Bouysse, nous fait pénétrer dans le château où personne ne veut ou ne peut aider Rose. La vieille est le diable incarné, maléfique, assassine. Edmond, le palefrenier, qui pourrait, n’est pas capable, pas plus que Gabriel, le prêtre. Le maître est la violence sanguinaire brute. Et Rose, jamais ne ploie. Jeune femme brave, solide, invaincue, meurtrie dans sa chaire.

Tout est calme. Il n’y a plus de temps à perdre. Voilà. C’est temps de sauter dans l’eau froide.
Mon nom, c’est Rose. C’est comme ça que je m’appelle. Rose tout court, le reste a plus rien à voir avec ce que je suis devenue, et encore, ça fait du temps que quelqu’un m’a plus appelée Rose. Quand je suis seule, que tout le monde dort, des fois je répète mon prénom à voix haute, mais pas trop fort, juste pour m’entendre de plus en plus vite. Au bout d’un moment, il y a plus de début ni de fin, alors je m’arrête et ça continue dans ma tête, comme si j’avais démarré une machine du diable. Et si on m’entendait, j’aurais sûrement droit à un traitement spécial et tout serait fichu par terre.

J’avoue qu’à certaines scènes, j’ai failli refermer le livre tellement la violence est insupportable. Pourquoi lire ça, pourquoi s’infliger la lecture d’actes atroces ? L’auteur m’a un peu perdue parce que j’ai eu peur que le roman ne soit qu’une succession de scènes de torture. Finalement, elles sont condensées dans une tranche du livre et laisse respirer le lecteur ensuite. Tant mieux car c’est dans cette composition romanesque que l’écriture prend tout son intérêt. Franck Bouysse réussit à nous emmener au plus profond de l’âme de Rose, sans qu’elle s’y perde et sans que nous nous y noyions. L’alternance des points de vue est captivante : chacun nous livre sa version des faits, son ressenti, son bout d’âme (Rose, Onésime : le père, Edmond : le palefrenier, Gabriel : le prêtre).

On se demande à quelle époque se déroule l’histoire. C’est intemporel. Certains éléments nous laissent penser que c’est au XIXe siècle… ou pourquoi pas au Moyen-Âge… Puis brusquement, une description semble tellement contemporaine que l’on se dit que l’horreur se passe là et maintenant.

Franck Bouysse nous livre un roman fascinant dans lequel il sonde l’âme humaine d’une manière si profonde que nul ne peut rester de marbre face à Né d’aucune femme.

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse, La Manufacture de livres, 2018.

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