Mes lectures

Les femmes sont occupées, de Samira El Ayachi : la charge mentale d’une mère célibataire

Les femmes sont occupées… Évidemment, je me suis sentie interpellée par le titre du roman. J’ai donc plongé avec curiosité dans le récit de Samira El Ayachi, et j’ai tout de suite sympathisé avec son personnage principal, dont nous ignorons le nom, et que l’auteure interpelle avec le « tu ».  » Tu comprends que cette femme longue au dos cambré qui cherche sous le canapé et sous les chaises renversées, c’est toi. Te voilà avec une trouille bleue au ventre, à chercher tes repères. » Le « tu » se retrouve seule, avec son bébé qu’elle nomme avec tendresse « Petit chose ». L’amoureux (et le père) a mis les voiles ou elle l’a sommé de partir, on ne sait pas trop et peu importe. Et le « tu » nous entraîne dans sa vie quotidienne de femme et de mère qui apprend à jongler avec son travail, sa thèse, les tâches ménagères, les soins et l’amour à donner à Petit chose. On la suit pas à pas dans sa nouvelle vie, dans sa conciliation famille-travail, dans ses relations aux autres qui changent. Et surtout, dans sa soif de vivre, de s’épanouir, de mener à terme ses projets professionnels, d’être une bonne mère.

Sans se lamenter, sans complaisance, le « tu » avance, avec optimisme malgré la fatigue, la peur, le jugement. Elle s’en prend plein la figure par le père de son enfant, par son père à elle, par sa belle-mère, par le bureau de l’Aide sociale qui lui explique comme à une gamine qu’écrire des pièces de théâtre et plancher sur une thèse, ce n’est pas nécessaire, qu’elle doit se secouer pour trouver un vrai boulot ! Heureusement, le « tu » a des copines qui ont la peau dure et qui forment un rempart pour la protéger et l’aider dans les moments de doute. Et le « tu » a un bon sens de l’humour et son second degré nous permet de supporter les scènes de sexisme ordinaire et les combats existentiels.

J’ai été très touchée par les passages devant le juge qui prononce le divorce et règle la garde de l’enfant. Tout le monde, – l’avocate du « tu » la première -, s’accorde à dire que la garde confiée à temps plein à la mère est une victoire, tandis que le père se contente d’un week-end sur deux et une partie des vacances scolaires. Ce à quoi le « tu » rétorque :

Madame la juge a annoncé qu’elle rendrait son arbitrage dans quelques semaines, a demandé si vous aviez quelque chose à exprimer, madame, monsieur, tu as répondu que oui, de ta voix fébrile. Depuis un moment, ça montait chaud en toi jusque sur tes joues, à te mouiller l’intérieur des yeux ; tu ne sais pas pourquoi, t’as eu besoin de déposer quelque part, dans le tiroir oublié d’un bureau de la République que personne ne visite jamais, tu as eu besoin de dire que « Je suis une mère, une femme mais aussi une personne qui a des rêves à réaliser et des projets tout aussi importants que ceux des hommes et qu’aujourd’hui les responsabilités doivent être partagées équitablement pour les besoins de l’enfant mais pas que, puis voilà, c’est tout ce que j’avais à dire, merci de votre écoute ».

En refermant le roman Les femmes sont occupées, je me suis dit que je le savais bien, mais j’ai ressenti beaucoup de compassion pour celles qui portent toute la charge mentale et émotionnelle sur leurs épaules, jour après jour,… et qui assurent grave ! Le « tu » et son « Petit chose » sont absolument attachants et la lectrice que je suis s’est retrouvée à se dire qu’elle leur souhaitait le meilleur.

Les femmes sont occupées offre un moment de lecture poignant qui agite notre réflexion sur nos constructions sociales patriarcales. Il y a encore du chemin à faire !

Les femmes sont occupées, par Samira El Ayachi, Les éditions de l’Aube, 2019.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s